La bataille lors de la fête des Pailhasses de Cournonterral

par | Communauté, Fêtes, Religion, Social

Le coin du touriste

C’est en pays montpelliérain, et plus particulièrement au village de Cournonterral, qui fut auparavant bouclé dans une architecture de murailles et de tours, que se déroule chaque année une pratique ancienne et singulière, communément appelée la fête des pailhasses. Ce qui la distingue entre toutes les fêtes profanes de l’année, c’est qu’elle est un prétexte à déguisement, faite de violences et hors spectacle, sans paroles et originel.

En effet, chaque mercredi des Cendres de trois à six heures du soir, le village s’y retrouve à huit clos pour exalter leur identité au travers un étrange combat au cœur de la ville délimitée par des rambardes de fer et des escouades de gendarmeries pour détourner les voitures et piétons.

Pour ce faire, il est d’usage à Cournonterral d’accrocher aux façades de leurs commerces,  dès le 6 janvier de chaque année,  deux mannequins, un blanc et un pailhasse, encourageant ses partisans à débuter en amont les préparatifs. La commune procure d’abondantes lies de vin, réparties dans des comportes dans chaque recoin de la commune.

Les façades des habitants et des commerçants sont recouvertes de bâches plastifiées. Se rassemblent par la suite les participants près d’un amas de paille avant de se laisser guider par la musique invitant à débuter le cortège dans les ruelles, maculées du contenu des comportes.

Le déchainement… Puis la mise à mort

Soudainement, le bain de lie collectif des pailhasses débute, scène accompagnée d’hurlements, d’ébats dans la boue et de pas de danse. Les Pailhasses en ressortent sculptés dans la lie, sans plus aucune trace de blanc, tels des hommes primordiaux cherchant leur proie. La course poursuite s’engage, en entrainant tous les imprudents égarés dans les rues, en quête de chasser les proies. Au bout de leurs bras, un chiffon de jute, dite la peille, que les pailhasses se servent comme arme de jet pourchassent les blancs en criant « Sar, sar » (approche, approche).

Les blancs ont pour mission de fuir et de garder intacte la blancheur de leur uniforme tandis que l’armée des pailhasses visent à les plonger dans les comportes. Le combat carnavalesque prend fin à dix-huit heures précises par un son de cloche, marquant la fin du déchaînement. Le jugement des mannequins a lieu le soir-même, qui sont condamnés à la peine de mort sur le bûcher. Les habitants les encerclent en chantant la Complainte du paillasse.

Le coin de l'historien

Dans la liturgie cournonterralaise, le carnaval est loin de disparaître. Il représente, pour les habitants, une pratique privilégiée pour ceux qui y vivent : si vous n’en êtes pas, vous êtes de trop !  Cette précellence tradition a été aisément, et comme par un raisonnement inconscient, transposée en priorité chronologique dès le commencement d’une nouvelle année.

En effet, temps et lieux de cette fête matérialisent ses premiers balbutiements par un étrange discours rituel et gestuel et se cristallisent par l’entrée en jeux de trois participants : les pailhasses, les blancs et les sales. La fête n’est pas de celles qui se donnent à voir, n’invitant ni spectateur, ni acteur. La circulation est interdite et les étrangers sont avertis des risques qu’ils encourent. Coupés du monde extérieur, un combat est dès lors engagé à huit clos durant trois heures entre les paillasses et les blancs. Les agissements instantanés, issus de l’excitation des hommes redevenus sauvages et oubliés sitôt le moment passé, n’épargnent personne. 

Pourtant, la construction historique de la fête des paillasses fait état d’un lien particulier entre la fête locale et ses habitants. Bien que la tradition laisse dans l’ombre un certain nombre de détails qui ne nous permet pas d’évaluer la bataille mémorable entre les habitants de Cournonterral et ceux d’Aumelas, ni la manière précise dont s’est constitué et aurait évolué au fil du temps les clans villageois pro-pailhasses ou pro-aumelassiens, faute d’une documentation permettant de reconstituer la trame sociale sur laquelle est réellement née cet affrontement.

Il n’empêche qu’une telle tradition archivistique, tout à fait mémorable en contexte rural tant par la bataille menée que par sa célébration permet de comprendre son importance par l’organisation progressive de la communauté. 

Un conflit source de la coutume

Le litige portait sur l’exploitation du bois mort des yeuses dans les forêts communales et seigneuriales attenantes à celles d’Aumelas, chaque partie arguant détenir des droits de propriétés exclusifs sur l’endroit. Estimant le chêne vert comme étant l’unique et principale source de revenus, les habitants d’Aumelas se sentaient lésés en ne disposant pas d’un titre d’exclusivité et de privilège du droit de lignerage. C’est alors que les Cournonterralais furent embusqués par leurs rivaux par l’envoi de flèches et de frondes servant à jeter les pierres avec plus de violence, les obligeant à capituler.

Cette défaite s’est vite répandue au village. Guillaume DE COURNON, seigneur des hauts lieux, mit alors en place par le biais de son bayle, nommé Pailhas, une stratégie visant à ce que son armée se déguise en épouvantail.  Chacun prit le soin de se métamorphoser en ficelant autour de sa cotte de mailles des sacs de grain garnis de pailles, se couronnant d’un bonnet de laine bigarré qu’un jet d’osier tordu et cousu en spirale faisait tenir haut, équipés de bottes cloutées et jambières en peau de renard avant de se couvrir le visage d’une peau de blaireau, l’ensemble recouvert d’une couche de plumes de dinde et de rameaux de buis. 

Ainsi métamorphosés, les résistants se rendent avec des javelots et des épées dans les bois en hurlant comme des loups, et capturèrent les Aumelassiens. D’abord prisonniers dans les souterrains de fort-viel, ils ne furent remis en liberté qu’après avoir juré sur les Saints évangiles de respecter, à l’avenir les gens et les biens de Cournonterral.  La célébration de la victoire se démarque particulièrement par la mise en place de barriques de vin dans tous les coins de la ville, icones éternelles de la pratique, marquant l’instant où les gardes complètement saouls, se roulèrent dans le vin. Ainsi, la fête des pailhasses est associée à la récréation festive qui récompensait les habitants de la dure résistance par la bataille menée, mais aussi à une tradition maintenue.

Le coin du juriste

La fête des pailhasses est une pratique ancienne et spontanée

« Les Pailhasses, ce n’est pas une opération municipale, c’est quelque chose de spontané et populaire » assure Monsieur le Maire, William ARS. Afin de permettre le bon déroulement de cette tradition ancestrale, des arrêtés municipaux sont adoptés chaque année visant à faire respecter les règles fixées, bel exemple d’association des coutumes et de règles étatiques. La fête représente notamment un enjeu identitaire des locaux. D’ailleurs, le caractère naturellement spontané de cette pratique festive marque la relation entretenue entre les habitants et la fête. Il s’agit d’un enjeu identitaire, qui, par le bais de diverses prohibitions, notamment en raison de l’épidémie du Covid-19, parvint à se maintenir vivace malgré la répression étatique. La fête et les cournonterralais apparaissent comme intrinsèquement liés, contribuant puissamment au fonctionnement des rouages de la vie à Cournonterral, en partageant la tradition de génération en génération. Cette pratique soutient l’histoire de la commune en présentant certaines originalités.

Au-delà de l’étrange discours rituel, gestuel, sans paroles et faits de violence, les cournonterraux adoptent de véritables usages issus de cette pratique

En effet, plusieurs usages tirent leur légitimité de cette pratique spontanée et répétée, existante encore ce jour.

  • Usage vestimentaire

La bataille n’impose aucune réelle règle durant l’affrontement opposant les deux clans si ce n’est se distinguer par la tenue vestimentaire pour déterminer à quel clan l’habitant se rattache.  Au départ, les habitants disposent d’une tenue similaire : une chemise, des chaussettes, un pantalon et des guêtres de couleur blanche qui ne permet pas de différencier les blancs des paillasses. Ceux qui souhaitent se mettre Pailhasse, il leur incombe l’obligation de se détacher définitivement de toute apparence humaine pour devenir entièrement sauvage. Pour ce faire, ils enfilent un sac de jute ouvert, de sorte à passer la tête et les bras, avant de mettre un chapeau, haut de forme et surmonté, et un masque de blaireau. Avant l’affrontement et sur l’ancienne distillerie (Plan de la Croix), ils s’allongent sur un tas de paille de sorte à ce qu’une carapace bien dure prenne forme, sur laquelle des rameaux de buis s’y plantent. Les pailhasses, aidés par les sales, représentent la commune de Cournonterral.

Quant aux Blancs, en représentation des Aumelassiens, restent blancs, bien que certains s’accoutrent d’une ceinture rouge, et se cantonnent à inscrire au charbon une marque noire sur leur visage.

  • Usages culinaires

En principe, les Cendres est un jour de jeune et d’abstinence. Toutefois, il en est autrement à Cournonterral qui profite de la fête des pailhasses pour dresser ses spécialités culinaires rituellement dégustées « afin de savourer l’inversion de la hiérarchie sociale ». Il y figure les escalettes, nom dérive du catalan « Escala », signifiant l’échelle, dites également « gaufres languedociennes », représentant des petites gaufres plates, sèches, striée de bandes ou de motifs et aromatisées au citron. La culture gastronomique de Cournonterral propose également son vin de Carthagène qui est un vin liquoreux traditionnel, signe d’hospitalité.

Bibliographie:

Y. ROUQUETTE et Ch. CAMBEROQUE, Les paillasses : Carnaval à Cournonterral, édition VERDIER, 1985.
G. D’ANDLAU et B. DE VILLAINES, Carnavals en France : hier et aujourd’hui, édition Fleurus, Collection Fleur Art Musees, 1996.

(1) https://ville-cournonterral.fr/?lang=4&gr=41&th=412&art=1644
Site officiel de la commune de Cournonterral : https://ville-cournonterral.fr/?lang=4&gr=41&th=412&art=1644