L’emploi de la langue

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Le coin du touriste

L’occitan comprend plusieurs dialectes : le languedocien, le gascon, le limousin, le provençal. Encore aujourd’hui, il vaudrait mieux parler de langues d’oc que d’Occitan (photo 1 : Les dialectes occitans, Reproduction tirée de l’ouvrage de A. Nouvel, L’occitan, langue de civilisation européenne)

Le nombre de locuteurs varie considérablement selon les sources. En 2007, on a recensé en France 170 000 locuteurs occitans, dont 80 000 locuteurs réguliers. Selon Babbel Magazine, il y en aurait au moins 1 million ! (Babbel Magazine 21 mai 2021). 

Au-delà de cet écart, il est vrai que chacun en Occitanie emploie, sans toujours s’en apercevoir, de nombreux mots occitans dont la densité témoigne au fil de la conversation d’une plus ou moins grande sensibilité régionale. 

En outre, la langue occitane est sortie ces dernières années d’un certain ghetto « soixanthuitard ». Les journaux régionaux comme le Midi Libre contiennent encore aujourd’hui une rubrique en occitan.. A Montpellier, le nom des rues du centre ville sont souvent traduites en occitan (photo 2 : panneaux de rue à Montpellier). Dans le métro de Toulouse, les annonces en occitan suivent celles en français. Enfin, Francis Cabrel a redécouvert avec talent et courage la langue des troubadours dans sa chanson « Rockstars du Moyen-Age » et dans son Trobador Tour de 2021.

Ne pas confondre occitan et catalan !

On peut comprendre la confusion entre catalan et occitan. A partir du Xème siècle, l’actuel territoire de l’Occitanie fut en effet sous domination catalane. A compter de cette période, les comtes de Barcelone deviennent rois d’Aragon et prennent la tête d’une puissance qui s’établit jusqu’à Montpellier qui était une terre aragonaise. Cette ville porte encore de nombreuses marques de cet héritage ; ainsi, la rue du Carré du Roi et le Jardin de la Reine ne renvoient pas ainsi aux rois de France mais à ceux d’Aragon. En 1659, le traité des Pyrénées entre les Couronnes de France et d’Espagne marque le rattachement du Roussillon à la France et la division de la Catalogne entre deux pays. 

La proximité et l’aura de Barcelone permettent encore aujourd’hui à de nombreuse expressions catalanes d’être comprises en Occitanie : Citons par exemple la célèbre et virile devise utilisée pour trinquer « Salut… i força al canut » ou plus poétiquement pour signaler que tout n’est pas que fleurs et violons : « No tot son flors i violes ».

Toutefois, le catalan est une langue proche mais distincte de l’occitan. Le catalan a beaucoup plus de locuteurs (surtout du côté espagnol que l’occitan). Il y aurait aujourd’hui 10 millions de personnes parlent catalan en Catalogne, et 200 000 en France. 

Les catalans français ont peu apprécié le choix du mot Occitanie pour désigner la région issue de la fusion des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Une association catalane a ainsi formé un recours devant le Conseil d’Etat qui l’a rejeté (CE, 19 juillet 2017, Association citoyenne pour Occitanie et Pays Catalan et autres). Le Conseil d’Etat a notamment relevé que « Si le nom « OCCITANIE » ne correspond pas à celui d’un territoire, d’un pays ou d’une province ayant existé en tant que tel dans l’histoire, mais, évoque, comme il vient d’être dit, une langue et une culture historiques, il est constant que la majeure partie du territoire de la nouvelle région est comprise dans l’aire géographique et historique de cette langue et de cette culture. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué, en ce qu’il donne le nom « OCCITANIE » à la nouvelle région, est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation».

Comme sa sœur occitane, la gastronomie catalane est aussi très riche en grillades (parilladas), escargots (cargoladas) sans oublier la fameuse crème catalane. 

Le refrain « On n’est pas occitans, on est catalans » a connu un certain succès au moment de la crise des gilets jaunes qui a fait ressortir des revendications que l’on croyait éteintes.

Le coin de l'historien

Hasardons une fresque historique de la langue occitane :

L’occitan est une langue parlée au Sud de la Loire dans un territoire occupé avant la domination romaine par des peuples principalement méditerranéens (contrairement au territoire situé au Nord de la Loire peuplé majoritairement de peuples celtes et germaniques tels que les Francs). La langue occitane est née de l’influence du latin sur les langues parlées avant la domination romaine.

Au XIIème siècle, le mot « languedoc » désigne ces pays du Sud de la Loire où l’on disait « oc » pour oui ; grossièrement au Sud du Massif central. La langue d’oc fut notamment la langue des troubadours qui a donné lieu à une poésie courtoise réputée au Moyen-Age qui vaut mieux que les niaiseries auxquelles on la résume généralement ; la poésie des troubadours soutient notamment que le plaisir est fonction du cœur 

En dépit (..ou en raison) de cette profondeur, le développement de la France et du Royaume de France a conduit à la domination de la langue des francs sur la langue occitane. Cette domination s’est matérialisé par des textes et des comportements.

En 1539, l’édit de Villers-Cotterêts favorise le français pour les actes administratifs et commence à affaiblir la langue occitane. 

La promotion du pouvoir central va conduire à réserver aux langues occitanes le nouveau terme péjoratif de « patois » pour faciliter l’émergence du français comme langue administrative et des élites. 

La résistance linguistique ne fut que l’un des aspects de résistances occitanes. Cette résistance eut ses tragédies comme la croisade contre les Albigeois au XIIIème siècle, la guerre des Camisards au XVIIIème. Les historiens observent toutefois que l’objet de la résistance du Languedoc fut moins la revendication d’une cause occitane et encore moins d’une indépendance (comme cela fut le cas en Provence) que la révolte contre une injustice (p. 126 et s.). 

La Révolution se fit en français et l’empire napoléonien poursuivit ce travail de sape en imposant la langue française dans les différentes cours d’Europe.

Au XXème siècle, l’école publique est à la tête de cette croisade en faveur de l’imposition de la langue française. Les instituteurs qualifiés de « hussards noirs de la République » répriment l’emploi de l’occitan par les enfants et diffusent le mythe de « nos ancêtres les gaulois».

Sur un plan littéraire, le Félibrige constitué le 21 mai 1854 et marque une prise de conscience culturelle occitane. Ce mouvement traditionaliste qui a Frédéric Mistral comme ambassadeur va se concentrer sur la promotion de la langue provençale. Il conduira à un foyer ultérieur plus toulousain et populaire comprenant notamment le poète Max Rouquette.

La décentralisation des années 1980 a réveillé la flamme occitane et le fameux slogan « Je veux vivre au pays » est devenu une formule populaire (photo 3). Des écoles dites calendretas et des radios perpétuent encore cette langue.

Le coin du juriste

Au regard du nombre de ses locuteurs, l’emploi de l’occitan n’est pas généralisé et l’on ne peut parler aujourd’hui d’une langue coutumière. Toutefois, le sort de cette langue est encore intéressant en ce qu’il révèle de l’attitude de l’Etat central français vis-à-vis de pratiques linguistiques minoritaires. La position étatique vis-à-vis des langues minoritaires et notamment vis à vis de la langue occitane est pour le moins ambivalente. Alors que le discours officiel se veut favorable à ces langues, l’action officielle va souvent en sens contraire. 

Au niveau international, la France a signé en le 7 mai 1999 la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Toutefois, à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999 du Conseil constitutionnel, ladite charte n’a pas été ratifiée. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a en effet relevé que le préambule de la Charte avait pour objet de reconnaître des « droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées, et que ces dispositions « portent atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français». En dépit de cette non-ratification, la Ministre de la Culture a « réaffirmé la volonté du Gouvernement de mettre en oeuvre les dispositions de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires jugées constitutionnelles en 1999 ». Dans un rapport officiel de 2013 présenté à la Ministre de la Culture et de la Communication par le Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, deux voies étaient avancées pour ladite promotion : l’adoption d’une loi ou la mise au point d’un code ; la France est décidemment incorrigible ne trouvant que dans le Droit écrit des idées d’amélioration du pluralisme.

Cette voie nationale va d’ailleurs montrer ces limites à deux moments clefs. 

En 2008, la Constitution va être révisée sur le point linguistique. Jusque-là, les langues régionales souffraient de l’article 2 de la constitution française aux termes duquel « La langue de la République est le français ».  Ajoutant un article 75-1, opportunément rejeté à l’autre bout de la Constitution, la Constitution ajoute désormais que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Pour certains, cette seule disposition ne remet pas en cause l’indivisibilité de la République française et, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999 ne saurait conférer « des droits collectifs à quelque groupe que ce soit ». Pour d’autres, cette nouvelle disposition permet au moins de conférer des droits individuels.

En 2021, le débat va reprendre avec l’initiative du Député breton Paul Molac dont la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion a été adoptée par le Parlement le 22 janvier 2021. Cette proposition de loi contenait deux dispositions principales : la première permettait le financement par des communes d’un enseignement de langue régionale offert par une autre commune ; la seconde permettait à des écoles publiques de proposer « un enseignement immersif en langue régionale », sans préjudice d’une bonne connaissance de la langue française. Il contenait en outre une disposition apparemment plus anecdotique permettant l’usage de signes dits diacritiques tels que le « tilde » ou le « ú » catalan que l’on retrouve par exemple dans le prénom « Llúcia ». L’exposé des motifs de la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales faisait d’ailleurs observer de façon humoristique que le tilde est apparu dans un acte officiel de la République Française dans le décret de promotion de M. Laurent Nuñez, alors à la tête de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI), au grade d’officier de l’ordre national du Mérite, le 15 mai 2015…

Au terme d’une saisine rocambolesque du conseil constitutionnel par des députés et sénateurs liés à la majorité qui avait permis l’adoption de la proposition de loi, le conseil constitutionnel a rejeté le motif d’inconstitutionnalité formé par ces parlementaires. Mais, dans le sillage de la saisine parlementaire, le Conseil constitutionnel va se saisir d’office de l’examen de la constitutionnalité des dispositions de la loi déférée sur l’enseignement immersif et sur les signes diacritiques. Au visa de l’article 2 de la Constitution, il va les censurer dans sa décision 2021-818 du 21 mai 2021. Il n’est pas certain que ce double jeu de la majorité parlementaire à l’égard des langues régionales augmente la confiance entre les occitanistes et le gouvernement. 

Bibliographie:

– G. Delbès, Mots d’oc, Mots d’ici, Chroniques savoureuses autour de l’occitan, Editions Privat 2020.
– R. Nelli, Mais enfin qu’est-ce que l’Occitanie ?, Privat 1978.
– A Nouvel, L’occitan, langue de civilisation européenne, in Connaissance de l’Occitanie, t. 2, 1977.