La sonnerie de la cloche de la Faculté de Droit de Montpellier

par | Académique

Le coin du touriste

La Faculté de Droit de Montpelier est aujourd’hui située dans l’Ecusson, c’est à dire dans le centre historique de Montpellier à 10 minutes à pied de la Place de la Comédie (Arrêt de tramway Louis Blanc).

Depuis 1959, elle occupe un très élégant ancien cloître de la Visitation fondé par l’ordre des Visitandines. Plusieurs marques de ce passé religieux subsistent dont une salle des Actes qui fut probablement un ancien réfectoire et des plaques en l’honneur d’anciens professeurs devenus papes (Urbain V (1310-1370) ou anti-pape d’Avignon (comme Pedro de Luna (1334-1424) dont le buste orne la Salle des Actes); aux étudiants qui s’interrogent sur les débouchés professionnels offerts par la Faculté, on suggère parfois en plaisantant cette orientation papale malheureusement difficilement accessible aux étudiantes.
Parmi les anciens Professeurs, citons Guillaume de Nogaret (1260-1313) Garde des Sceaux de Philippe Le Bel, Jean-Jacques Régis de Cambacérès (1753-1824) second consul puis Archichancelier de l’empire napoléonien et plus récemment Georges Frêche (1938-2010) ancien maire de Montpellier, député et Président du Conseil régional du Languedoc Roussillon.
La Faculté accueille plus de 5.000 étudiants et propose l’un des meilleurs rapports « qualité d’étude/qualité de vie » parmi les universités françaises.

Le coin de l'historien

On retient souvent 1289 comme l’année de la création de la Faculté de Droit de Montpellier. C’est l’année de la bulle pontificale qui a reconnu à Montpellier la faculté de délivrer un enseignement universitaire.

L’une des originalités de ce texte est qu’il fonde cette création « ex consuetudine » c’est-à-dire en reconnaissance d’une pratique, d’une coutume préexistante et point « ex privilegio » en raison d’une simple décision. Les coutumes sont donc étroitement associées à la Faculté de Montpellier. Jusqu’au XVIème siècle, il existait d’ailleurs à Montpellier un « abbé des étudiants, protecteur des coutumes et élu par eux ». Comme en témoigne le cartulaire de l’Université de Montpellier, le rôle des usages s’est poursuivi tout au long de l’histoire de la Faculté en dépit de la densité des bulles pontificales, chartes et des statuts rédigés et compilés dans le Liber Rectorum à compter de 1326. Parmi les nombreux usages évoqués dans ce recueil évoquons notamment la préséance honorifique et le droit de communication anticipé aux résultats des examens consentis aux étudiants nobles.

L’attachement des montpelliérains aux coutumes n’est pas nouveau. En 1349, à l’occasion de la vente de la seigneurie de Montpellier par le Roi de Majorque à Philippe de Valois, Roi de France, les consuls de Montpellier ont tenu lors à manifester des réserves au serment qu’on leur demandait de formuler à genoux. Ils ont ainsi tenu à accompagner leur serment d’une protestation aux termes de laquelle « la posture qu’ils ont tenue à genoux n’est point un hommage, mais simplement un serment de fidélité qui ne peut donner aucune atteinte à leurs privilèges, usages, coutumes et statuts ».

Le coin du juriste

Il existe un Droit hors la loi : ce sont les usages, les règles informelles, les traditions et cette forme laïcisée et moins ancrée dans le temps long des traditions que sont les coutumes. Même le très légaliste Code de l’éducation et notamment son article L. 952-2 renvoie aux « traditions universitaires » pour définir l’indépendance et la liberté d’expression des enseignants et chercheurs.
Connues pour leur conservatisme, les Facultés de Droit seraient les gardiennes de ce Droit. Ces coutumes ont une importance des coutumes à la Faculté de Droit de Montpellier.

Des coutumes de la Faculté de Droit en général

L’étudiant en Droit montpelliérain baigne dans les coutumes

En première année, on lui demande parfois de se lever lors de l’arrivé du professeur dans l’amphithéâtre.

L’étudiant pourra ponctuer ses études par un Doctorat. Il interrogera alors son Directeur de thèse sur les usages de la soutenance et ses amis sur les modalités de célébration du « thésadou ». Aux dires de nos collègues itinérants, notre Faculté de Montpellier s’illustre par une affection pour de longs remerciements du candidat aux membres du jury. Au-delà de la satisfaction que pourront en ressentir les bénéficiaires, ces propos permettront de tester l’originalité du candidat dans un exercice de style particulier et son attention aux travaux de ses juges d’un jour.

S’il envisage une carrière académique, il pourra candidater devant des comités de sélection. Etablis depuis une dizaine d’années, ces comités ont déjà donné lieu à l’instauration de certaines pratiques. Sauf niveau manifestement insuffisant, l’étudiant montpelliérain bénéficiera d’un usage consistant à retenir les étudiants locaux, au moins pour une audition devant le comité de sélection. Motivé par une affection particulière à l’égard de ces étudiants, on explique aussi cet usage par le faible coût de déplacement qu’emportera cette audition pour le candidat en question.

Lorsqu’il sera devenu un mandarin, il pourra invoquer la coutume du « cocotier» qui permet à un collègue ayant plus d’ancienneté de bénéficier de l’attribution d’un cours par rapport à un collègue moins ancien, dès lors que cette personne moins ancienne dispose de son service. Le nom de cet usage renverrait à une coutume insulaire consistant à faire grimper les anciens en haut d’un cocotier, avant de la secouer, afin de sélectionner les plus résistants.

Si un jour, il revient recevoir les insignes de Docteur honoris causa, il pourra suivre les directives remises à l’ordre du jour par notre Collègue Jacques MICHAUD le 28 mars 2003 à l’occasion de la cérémonie en l’honneur du Professeur Erik JAIME de l’Université d’Heidelberg. Dans un document de trois pages, notre Collègue indique avec précision les étapes de la cérémonie depuis la réunion du cortège dans la Salle du Conseil jusqu’à sa sortie au chant de « Gaudeamus igitur ». Tout un riche cérémonial est décrit rappelant les ordres de préséance, les prises de paroles (lecture de l’arrêté de nomination par le Secrétaire Général, éloge par le parrain, formule d’admission par le Président d’Université, leçon inaugurale par le nouveau Docteur), les tenues à revêtir, les objets à remettre au docteur (camail rouge, livre,…).

Mais les coutumes ne sont pas éternelles. Certains tombent en désuétude à l’initiative de tentatives de suppression législative. Plusieurs textes ont ainsi visé à éradiquer la pratique des bizutages. Dans la Faculté de Droit de Montpellier, cette pratique semble perdurer en dehors des locaux universitaires ce qui contribue au passage à aggraver le risque de dérapage. Une autre coutume en cours de disparition est la pratique des chansons paillardes. Si l’on peut ne pas apprécier le tropisme sexuel et alcoolique de ces chants, on peut tout aussi regretter la mise au ban de cette véritable culture estudiantine qui avait plusieurs mérites dont celui de faciliter les rapports humains.

Fonctions des coutumes de la Faculté de Droit

Elles ont d’abord une portée pédagogique. Composés de comportements sous-jacents, l’observation et l’analyse d’usages permet d’attirer l’attention de l’étudiant sur la signification et l’importance des gestes dans la procédure civile, des sons et plus largement de la forme dans la vie juridique. La forme n’est que la partie extérieure des choses que tant qu’on la subit sans l’étudier. Rares sont les contraintes de forme ou de procédure qui n’ont pas de justification ; si on se lève à l’entrée du professeur, c’est pour le saluer et donner la priorité à son propos plutôt qu’à la conversation que l’on tenait avant son entrée dans la salle de cours. Selon le mot prêté à Victor HUGO, la forme est bien le fond qui remonte à la surface.

Certains pourraient douter de la qualification de coutumes aux pratiques relevées ci-dessus au motif qu’elles ne sont pas assorties d’une sanction judiciaire. Il faut rappeler ici que la force de coutume est parfois en germe et n’attend que l’occasion d’un conflit judiciaire pour être reconnue.

Plutôt que d’éradiquer des coutumes, la voix d’une conciliation entre les Droits coutumiers et étatiques paraît la plus sage. C’est à pareil réveil coutumier que pourrait contribuer la revitalisation de la cloche de la Faculté de Droit de Montpellier.

Ces coutumes ont surtout l’intérêt d’assouplir une bureaucratie inquiétante. A ce titre, ils sont en tension permanente avec le Droit étatique. Cette tension n’a rien d’original ni dans le temps, ni dans l’espace. Elle est simplement exacerbée aujourd’hui dans ce temple du Droit qu’est la Faculté de Droit de Montpellier qui porte jusque dans son architecture la marque de traditions centenaires.

Des coutumes campanaires en particulier

Cloches et laïcité

Au sein du couvent des Visitandines, la cloche fondue en 1822, dédiée à Saint François de Salles (décédé 200 ans plus tôt) et ornée de trois fleurs de lys et d’un crucifix rythmait la vie des sœurs. Le rythme des prières et de la vie était alors associé à ces sonneries.

Depuis que le bâtiment est affecté à la vie juridique, la cloche sonne moins. Elle a même été déposée à l’occasion des travaux de rénovation de la Faculté entre 1997 et 1998 pour ne plus être suspendue mais enfermée dans une cage au 2ème étage de la Faculté.

Cette mise sous silence peut satisfaire ceux dont le son des cloches heurte les trop laïques oreilles. Mais comme en témoigne un arrêt du Conseil d’Etat du 14 octobre 2015, l’utilisation des cloches d’une église à des fins civiles est tout à fait admise aujourd’hui. Dans cette affaire, des habitants importunés par le bruit des cloches avaient sollicité la cessation de cette pratique, et devant le refus du maire, avaient demandé l’annulation de la délibération du conseil municipal. Leur demande avait été accueillie en première instance, ainsi que devant la cour administrative d’appel. L’arrêt de la cour d’appel est pourtant annulé par le Conseil d’Etat pour erreur de droit. Si l’usage civil des cloches des édifices servant à l’exercice public du culte est réglementé depuis 1905, l’article 51 du décret du 16 mars 1906, pris pour l’application de la loi du 9 décembre 1905, autorise l’emploi des cloches notamment « dans les circonstances où cet emploi est prescrit par les dispositions des lois ou règlements, ou autorisé par les usages locaux ». Or, selon le Conseil d’Etat, « l’usage local s’entend de la pratique régulière et suffisamment durable de telles sonneries civiles dans la commune, à la condition que cette pratique n’ait pas été interrompue dans des conditions telles qu’il y ait lieu de la regarder comme abandonnée ». Dès lors, en jugeant qu’un usage local des sonneries civiles de cloches ne pouvait procéder que d’une pratique qui existait lors de l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 et n’avait pas été interrompue depuis lors, la cour d’appel n’a pas interprété correctement le texte du décret.

Renaissance

Aussi bien la loi que la pratique de la Faculté de Droit pourraient redonner vie à la cloche embastillée.

L’article 1er de la loi n°2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises valorise désormais dans l’environnement les considérations sonores et olfactives A ce titre, comme les chants de coqs et les odeurs des vendanges, les sonneries de cloches pourraient non seulement être tolérées mais protégées.

A l’occasion de travaux d’embellissement de la Faculté en 2021, le Doyen Guylain CLAMOUR a d’ailleurs donné son accord pour que l’on refasse sonner la cloche lors des prochaines rentrées solennelles. La cloche avait tinté pour la dernière fois en 2003 pour le doctorat honoris causa du Président WADE. Cette « résuétude » serait l’occasion de rappeler la convention coutumière qui unit la Faculté à son sonneur de cloche, retraité de la fonction publique mais dont les fonctions coutumières sont viagères.

Bibliographie:

Ch. d’Aigrefeuille, Histoire de la Ville de Montpellier, Laffite Reprints Marseille, 1976.
A. Corbin, Les cloches de la terre, Albin Michel, 1994.
B. Durand, Y. Mausen et al., La Faculté de Droit de Montpellier, Liber memoriae, 2004.
P. Mousseron, Les usages de la Faculté de Droit de Montpellier, https: bibliotheque-des-usages.cde-montpellier.com.articles.
E. Sutter, Code et langage des sonneries de cloches en Occident, Patrimoine campanaire (Revue francophone de campanologie), Supplément au numéro 54, 2007.